16 févr. 2023

Mélancoliques réminiscences... avec l'Espace Pandora

Nos amis de « l'Espace Pandora vénissian » nous ont offert de lire un magnifique texte du poète italien "Cesare Pavese" qui parle de son cousin dans son poème :
« Les mers du Sud » – Monti – dont voici les premiers vers :
 
Nous marchons un soir sur le flanc d’une colline,
en silence. Dans l’ombre du crépuscule tardif
mon cousin est un géant vêtu de blanc,
Qui s’avance paisible, le visage bronzé,
Taciturne. Notre vertu est de nous taire.

 … … …
 
C’est ainsi que se ravivent de mélancoliques réminiscences… la pensée remonte le temps, faisant renaître les souvenirs et nos chers cousins d’Italie.
 
Les bois de Mesnil 
 
  Évocation
 
À Lyon, il fait froid
Tout est blanc ce matin
Dans notre cœur attristé
Stupeur tristesse douleur
Notre cher cousin d’Italie n’est plus 
Émotion
Chagrin
Les mots
Inutiles
 
Paysage gris
Gelée froidure
Foudroiement
Malheur
 
Ta forêt tant aimée
Tu coupais du bois
L’arbre fut le plus fort
Le chien hurle à la mort
Les fuites du silence
 
Souffle fatal
Destin cruel
Finitude
 
Au seuil du chagrin

Qui sommes-nous ? Que sommes-nous pour ne pas perdre à l’esprit qu’ici-bas la vie n’est que passagère. C’est ainsi que face à la perte des êtres chers, nous sortons de ce cœur vulnérable tourné vers l’espérance.
 
Qui peut savoir ? Qui peut dire si demain nous accueillera ? Quelle exigence pour le commun des mortels. Quelle blessure au fond de l’âme peut nous ouvrir sur la vérité de la vie et de la mort quand la route d’un être aimé s’arrête ?
 
Dieu porte nos pas et nous recevons l’amour du prochain… par des larmes sur ta joue, une pensée, un geste, un mot de réconfort, la tendresse de ton sourire. Un ange de bonté passe, il éclaire ce jour.
 
Qui étais-tu ? Un grand Monsieur ! Grand par le cœur et la générosité !
 
Nous pleurons ton départ cher cousin, exprimant notre émotion, notre affection, ce bonheur de t’avoir connu. Celui de t’avoir revu l’été dernier. Les merveilleux souvenirs passés en ta compagnie sont à jamais gravés en nous.
 
Tu nous emmenais dans les bois que tu aimais tant, conduisant prudemment sur les sentiers caillouteux et abrupts. Quand nous frôlions les précipices, à chaque cri de frayeur s’échappant de ma gorge, tu souriais et te montrais rassurant.
 
Nos éclats de rire résonnaient dans la nature enchanteresse, ton chien nous montrait la voie.
 
Tu nous as emmenés pour la première fois jusqu’à la chapelle. Puis, nous t’avons accompagné dans ta maison des bois où rayonnaient de magnifiques hortensias roses et bleus. L’eau de source coulait harmonieusement près du bois coupé fleurant bon la verdure.
 
Tu nous faisais découvrir ces lieux de cueillette des plus beaux champignons que nous n’ayons jamais vus ni dégustés !
 
Nous sommes montés au village abandonné qui semblait renaître après des années de solitude… l’une des chaumières était en cours de restauration…
 
Les hortensias du jardin sont en deuil ce matin. Ils ont gelé cette nuit. Tu reposes maintenant dans la lumière et la grâce du Très Haut. J’entends chanter ton cœur quand pleurent les nôtres...
 
Dépouillement de l'âme, chagrin... Cousin, brille à jamais ta chère présence !
 
Octobre 2005 - Piémont (Italie)
 
 Élégie d’octobre
 
La forêt blanche est rouge de douleur
tandis que homme allongé va mourir ;
L’air glacial pleure des flocons noirs
scellant son souffle en l’heure gémissante ;
Le destin frappe un bonheur sans histoire
étreignant l’ombre où se meurt l'existence ;
Ton corps se brise acceptant l’implacable
l’arbre fendu succombe à tes côtés ;
Tu vois le Ciel venir à ta rencontre
puis ses lueurs recouvrir ton linceul ;
Ton doux visage accueille le repos
lorsque ton chien hurle et fuit le malheur.
 

14 févr. 2023

153e devoir de « Lakevio du Goût », lundi 13 janvier 2023

Vous visualisez une maison ouverte à tous les vents, dont les murs sont tagués, moisis… Vous remontez le temps et vos souvenirs d’enfant…

 

Proposition de M. le Goût des Autres : Cette photo me serre le cœur, il s’en dégage une impression, que dis-je des impressions diverses et opposées. Mais à vous ? Qu’inspire-t-elle ? Bah… On verra ça lundi…
 

 La maison de l’enfance

 

Quand tu quittas ton beau village
Tu n’oublias son doux sillage !
Le temps qui passe a rallumé
les souvenirs de ta jeunesse…
 
« Que faudrait-il pour que renaisse
Ta joie en ce lieu tant aimé ? »
 
Un triste ciel plombe la terre,
le sol glacé d’un signe austère
vêt la maison d’un linceul blanc ;
Franchiras-tu la porte, émue ?
 
« Partir ? rester ? cela remue
tant le spectacle est désolant. »
 
La porte était ouverte, elle est entrée
 
    La porte a perdu sa serrure, elle ne ferme plus, instable, taguée. Claudia sent une forte odeur d’humidité. Elle remarque les nombreux graffitis sur les murs ; ici et là, des moisissures parcourent les cloisons, le plafond. Le parquet est jonché de cailloux, poussières et détritus. Les deux fenêtres ont leurs vitres cassées ; les volets en bois semblent rongés...
 
Son cœur tressaille… la malle ancienne est toujours là ! Sans doute s’en servait-on d’assise...
 
    Te souviens-tu de moi ? Tu avais sept ans lorsque tu ouvris pour la première fois le coffre en pin verni. À cette époque, ta mamie Félicie était encore en vie. Tu parcourais les livres et revues qui composaient l’heureux bazar, avec tes doudous, jouets, peluches. Tu affectionnais tout particulièrement « ces ouvrages dévorés au fil des semaines ». C’est ainsi que la poésie éclaira ta vie. Ton cœur se brisa un dimanche soir lorsque Félicie mourut dans ses vignes au printemps. Tu avais douze ans.
 
    Depuis, j’ai vu passer du monde ici ! Une fois la porte forcée, la maison fut accessible à tous, restant ouverte la plupart du temps. Elle offrait un toit aux sans-abri, aux malheureux ; parfois, un pèlerin s’arrêtait pour boire l’eau de source qui coulait à la proche fontaine, il repartait aussitôt n’osant franchir le seuil de la maison. Certes, il y eut bien ces jeunes effrontés qui venaient le samedi soir pour boire et fumer, on peut dire que cela empestait. Ils s’amusaient à dessiner des inscriptions sur les murs puis repartaient au petit matin, récidivant les soirs de fête. Ils étaient tranquilles au milieu des champs, les plus proches voisins étant situés à environ deux kilomètres.
 
    Vingt ans plus tard, tu es là, assise à mes côtés, pleurant à chaudes larmes. Que comptes-tu faire ? repartir tout de suite ? j’aimerais bien que tu restes !
 
    Claudia est partie ce soir-là et revenue le lendemain. Elle a pris du bois et lancé un feu dans la cuisinière qui fonctionnait encore. Elle s’en allait à la fin de la journée et revenait le matin suivant. Elle a changé la porte d’entrée et les fenêtres. Elle a balayé, lavé, nettoyé, traité le salpêtre, repeint les murs et le plafond en blanc puis reverni les volets et la porte.
 
    Un jour, tu apportas une table, quatre chaises, un grand lit, un petit lit en remplacement de ceux existants qui trouvèrent leur place dans la cuisine ou la chambre. Tout était transformé. La maison de ta grand-mère revivait comme au bon temps.
 
    Tu es là depuis un mois. Te voici assise, plongée dans la réflexion. Tu parles tout haut : 
 
  Je dois m’en aller et laisser de nouveau ta maison, mamie…
 
    Cela te fend le cœur. Cette nuit, tu restes silencieuse. L’orage gronde, des éclairs zèbrent le ciel. Maintenant, il pleut des cordes. Tu ouvres le coffre et vois ces ouvrages que tu aimais tant lire. Tu ne dormiras pas cette nuit…
 
    Le lendemain matin, la pluie martèle toujours le toit et les vitres ; on frappe, un couple accompagné d’une petite-fille demandent s’ils peuvent entrer se réchauffer. Cette nuit, la foudre a frappé leur maison située à proximité. Le feu a ravagé la toiture. Ils savaient cette maison ouverte à tous les vents et que tu la restaurais. Ils sollicitent ton aide.
  
   Bonjour, c’est le ciel qui vous envoie alors, entrez vite, leur dis-tu en riant.
 
   — Ô merci beaucoup ! Vous savez, notre famille connaissait bien Félicie …
 
   — Je suis Claudia sa petite-fille ; j’avais à cœur de faire revivre sa maison, la maison de mon enfance. Je dois malheureusement repartir aujourd’hui.
 
Devant leur mine déconfite, tu ajoutes :
 
— N’ayez aucune inquiétude, restez ici le temps qu’il faudra !
  
Tu les quittes l’esprit serein et les visitera à Noël !
 
    Le coffre aux trésors
 
Une petite main soulève mon couvercle,
Sait-elle que je vis… ici depuis un siècle ?
Elle fouille, déplace au milieu des jouets
Des ouvrages vieillots qui transforment sa vie.
 
« Les pages qu’elle tourne et lit avec envie
illuminent ses yeux, son chagrin, ses souhaits. »
 
La malle bienheureuse en cette nuit d’offrande
lui donne l’espérance et le plaisir d’apprendre ;
L’enfant parle tout bas confiant son regret
de n’avoir plus d’abri… foudroyé par l’orage !
 
Découvrant chaque auteur,* poète,* un beau langage,
« Mes rêves sont intacts, me dit-elle en secret ! »
 
* Victor Hugo : « Notre Dame de Paris » - « Les Misérables » - « Les Contemplations » ;
Lamartine : « Méditations Poétiques » ;
Albert Camus : « L’étranger » - « La Peste » ;
Baudelaire : « Les Fleurs du Mal » … / …
Khalil Gibran : « Le Prophète », dont voici un extrait :
 
« Et une femme qui portait un enfant dans les bras dit,
Parlez-nous des Enfants.
Et il dit : Vos enfants ne sont pas vos enfants.
Ils sont les fils et les filles de l'appel de la Vie à elle-même,
Ils viennent à travers vous mais non de vous.
Et bien qu'ils soient avec vous, ils ne vous appartiennent pas. »
 

6 févr. 2023

152e devoir de « Lakevio du Goût », lundi 6 janvier 2023



Proposition de M. le Goût des Autres : Mais à quoi diable pensait Mark Keller en peignant cette jeune femme ? Il me vient plein d’idées à regarder cette toile. Mais à vous ? Je me dis que ça devrait commencer par : « Ma tante a dit : t’as perdu ta langue, Anne ? » Et finir sur : « Et elle se trouve renvoyée à la solitude. »


En relisant cette citation d’Annie Ernaux, comme elle je m’interroge, oh, pas sur ma vie mais sur le titre du livre car « ce qu’ils disent ou rien » me ramène au langage silencieux de la contemplation, face à l’une des œuvres de Mark Keller !

J’ai perdu ma langue… et soudain :

 

 Peut-on y laisser ses plumes ?

« Ma tante a dit : t’as perdu ta langue, Anne ? » entendis-je crier…

La belle demoiselle se tient là, indécise, une pelle à la main. Elle est descendue de voiture après avoir ôté et posé son manteau de vison sur le siège passager. Quelle voiture imposante ! on dirait une Buik !
Elle porte une robe de soirée blanche à rayures bleu-rose dont le tissu satin de soie est si fin que je visualise la perfection de son corps svelte. Son visage adorable s’offre à mes yeux. Ses longs cheveux châtains retombent en une cascade bouclée sur ses épaules nues. La petite va prendre froid ! J’entrevois son regard bleu que la crainte semble assaillir.
Quelle tâche ingrate l’attend ? Que peut-elle bien faire seule ici la nuit ? Une effraie hulule, voilà de quoi l’effrayer.

L’obscurité coule sur elle. Des ombres tressaillent dans les arbres, telles des formes lugubres se jetant sur elle. À cette heure tardive -d’habitude- on voit s’arrêter des couples d’amoureux discrets ou d’autres qui viennent "s’égrillarder" et s’en griller une en tenant des propos libidineux.

La belle enfant est maintenant concentrée. Les phares sont restés allumés, éclairant la pénombre, projetant une clarté transparaissant entre ses jambes hautes et minces. L’endroit s’emplit de l’aura émanant d’elle.

La belle demoiselle répète sans cesse :
       —  T’as perdu ta langue, Anna, t’as perdu ta langue, Anna, t’as perdu ta langue…
Que veut-elle dire ?
Elle ajoute :
    — Oui tatie, j’ai perdu ma langue... » …suivent des mots incompréhensibles…

Comment une aussi belle personne peut-elle vouloir perdre sa langue... ? Elle franchit la ligne d’ellébores fétides qui pullulent ici comme du chiendent, je les fuis comme la peste ! Je remarque ses talons embourbés dans une langue de terre. Elle serait mieux dans une salle de bal.

Elle se retourne, lève la tête... m’aurait-elle vu ? Son visage est baigné de larmes maintenant. Elle scrute la pénombre puis la voici qui s’active avec la pelle ! je comprends mieux : elle enlève précautionneusement plusieurs racines de « roses de Noël » ; monte alors une étrange odeur de sucs que je reconnais : « Cette plante est toxique ». Le sait-elle ? que veut-elle en faire ?

Elle gémit :
    — Tantine, pourquoi tu me fais ça ? t’as pas le droit, pas le droit, pas le droit…
Pendant qu’elle débite sa litanie, je m’approche d’elle et je l’entends crier :
    — Et bien, tu l’auras ta tisane tout à l’heure, tu l’auras ta tisane si c’est ce que tu veux !
Le regard rougi, la lèvre tremblante, elle continue :
    — J’aimerais mieux perdre ma langue que te perdre, tatie !

C’est alors qu’elle me voit. Je fais un saut en arrière mais elle me rassure :
    — J’ai peur des charognards et des rôdeurs, mais toi... tu n’as pas l’air méchant, reviens, s’il te plaît, je vais tout t’expliquer ! C’est ma tante, elle est bien malade ; elle m’a demandé de lui préparer des tisanes d’ellébores pour partir plus vite. Je n’ai qu’elle au monde ! j’en boirai moi aussi plutôt que de rester seule !

N’écoutant que mon cœur, j’ai écarté toute racine de sa vue… je ne voyais plus que la belle demoiselle. Dans un soupir, j’ai murmuré ces vers :
… … …
 
« Angoisse qu’aucun mot ne nomme !
Le silence continuait ;
Je demeurais ivre et muet ;
Pas un souffle ne remuait.
Puis, un seul mot, un mot encore,
Fut dit, et ce mot proféré
Fut un mot tout bas murmuré ;
Mais il n’en fut pas moins sonore.
Ce murmure, ce mot : « Lénore ? »
C’était moi qui le murmurais.
… … …         
                [Le Corbeau – Edgar Allan Poe].

La voiture s’éloigne maintenant, la jeune femme pleure autant. Dans l’habitacle, si vous étiez là, vous entendriez : — Oui, tatie, oui ma tatie ! j’attendais un signe du Ciel pour renoncer à notre projet… et voici que ce bel oiseau noir a surgi pour picorer ma cueillette !

Elle ne vit pas, n’entendit pas le petit "corbiau" sur l’arbre perché, croassant des toc-toc-toc et kra-kra-kra… désespérés ; une larme coulait sur son bec ; il contemplait son grand frère -allongé sur le sol- qui ne se réveillait pas.

La belle dame reviendrait-elle demain ? …avant qu’elle ne se trouve renvoyée à la solitude…
[et lui avec]

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