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6.11.23

176e Devoir de Lakevio du Goût lundi 6 novembre 2023

 
M. le goût des autres indique pour cette semaine : "Après Anne-Françoise Coulomy et ses portes dont on se demande toujours où elles mènent ou ce qu'elles cachent, voici Fernando Saenz Perdrosa et ses attentes d’un train qui mènera je ne sais où pour rejoindre je ne sais quoi ou échapper à je ne sais qui. C’est toute l’histoire de « Le je ne sais quoi et le presque rien ». A vous, et à moi, de jouer d’ici lundi…"
 

Lundi 3 septembre 1979 - Gare de Lyon-Perrache, 6h30 du matin : c’est la reprise professionnelle pour une majorité de français.
L’époux de Francine l’a déposée à 6h. Elle attend l’arrivée du train à destination de Lille avec une correspondance à Paris. Francine fait les cent pas au milieu d’une foule fourmillante à laquelle elle n’est pas habituée, elle qui a si peu voyagé sur les rails de France. Elle se rend à Lille pour suivre un stage de formation dans sa nouvelle entreprise. Ce matin, lorsqu’elle a quitté la banlieue lyonnaise, une brume enveloppait bizarrement la ville après les dernières pluies du week-end, lui collant à la peau. L’automne est précoce cette année, il fait froid et humide. 

Elle remarque son reflet dans une vitre et sourit à l’évocation d’une autre silhouette, des années plus tôt lorsqu’elle avait pris le train pour la première fois, en gare de Villefranche :
[30 juin 1967 : Francine a 18 ans, elle se revoit sur le quai où personne ne l’accompagne ni ne l’attend. C’est son premier voyage en train. Elle scrute un lampadaire blafard tandis que le train arrive en provenance de Lyon-Perrache. Elle rejoint un rassemblement de milliers de jeunes pour le quarantième anniversaire de la JOC à Paris.
Lors du retour début juillet, le train était bondé, elle avait patienté longuement debout, puis ayant trouvé une place assise dans le wagon de ses copains de Grenoble, elle s’était endormie. Le contrôleur l’avait réveillée après la fermeture des portes du train à Lyon-Perrache en direction de Grenoble. Elle avait démontré sa bonne foi auprès du contrôleur qui l’avait écoutée avec un je ne sais quoi de bonhomie et de courtoisie. Ses copains et lui étaient bien embêtés pour elle. 
Lors du prochain arrêt, le contrôleur appellerait les voisins de ses parents, ces derniers ne possédant pas le téléphone à cette époque. Le supplément serait à régler pour le voyage de Villefranche à Grenoble puis celui de Grenoble à Villefranche.
Son père qui était déjà parti à la gare, l’avait attendue longtemps, très inquiet de ne pas la retrouver à l’heure présumée d'arrivée...
Après ces péripéties, Francine n’avait jamais repris le train.]

Francine est trentenaire. Aujourd’hui, elle prend souvent les transports en commun. Elle n’a pas hésité à demander son chemin à d’autres voyageurs dans les dédales de la gare... Plus tard, à Paris, il règnera "un je ne sais quoi de … où comment se rendre à la gare du nord…". Elle obtiendra les informations auprès de la foule parisienne et prendra le bon métro. Ce voyage est propice à l’évasion, à la connaissance des lieux, pense-t-elle.

En juillet, elle avait quitté son précédent emploi sur un coup de tête, démissionnant du jour au lendemain. Elle ne pouvait plus se plier aux exigences du nouveau directeur de l’entreprise -le troisième en dix ans-, subissant à chaque fois les impératifs du nouveau dirigeant.
Dix jours après, elle retrouvait du travail.

Le siège étant situé à Lille, elle monte une semaine en formation. Ce déplacement lui fera le plus grand bien.

Dans le wagon, elle trouve aisément sa place. Le train est bondé. Une phrase tourne en boucle dans sa tête : "Serai-je à la hauteur de ce poste ? Donnerai-je satisfaction pendant ma formation et ma période d’essai" ?
Elle aura des responsabilités car son nouveau patron sera souvent à Lille et ne descendra à Lyon que deux jours par semaine. Mais elle a confiance car il lui fait confiance.

Durant le trajet, elle a ouvert son sac de voyage, sorti deux livres, lu ce poème de Victor Hugo : « Aux Arbres » (Les Contemplations) et quelques pages du second : « Le Je-ne-sais-quoi et le Presque-rien, tome 1 : La manière et l'occasion » de Vladimir Jankélévitch ; elle fait sienne cette expression qui lui convient parfaitement.

Elle part pour apprendre, vivre une belle aventure professionnelle. Elle -si timide et réservée auparavant- sait qu’elle a pris la bonne décision, elle part ravie de commencer ce nouveau job. Sois sérieuse et authentique, se dit-elle.

4 jours après, dans le train de retour… il y a dans l’air comme un je ne sais quoi de joie et de fulgurance, avec tous ces petits riens éclosant par ci, par là... qui formeront un grand tout dans sa manière d’aller à la rencontre des autres, de s’adapter, de rester curieuse, d’apprendre et d’aimer servir fidèlement l’entreprise et les clients.
 
Aujourd'hui, Francine se remémore cette saveur des départs et des retours, elle entend encore la sonorité des roues sur les rails, de ces paysages arborés -jamais les mêmes- défilant sous ses yeux et l'emportant vers une singulière aventure.

Quelle belle histoire de vie vécue au sein de cette société pendant trente ans ! À présent, Francine goûte chaque instant d’une joyeuse retraite, avec ces "je ne sais quoi et presque riens"… illuminant son quotidien.

15 commentaires:

  1. C'est tellement joliment raconté que je me dis que c'est ton Histoire !
    Bisous Emma, bonne soirée.

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  2. Coucou Praline, bien deviné. Bisous du soir.

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  3. J'avais, senti ce parfum de vérité ! Merci Emma de ces souvenirs vivaces

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  4. C'est moi l'anonyme du dessus !

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  5. Oh oui ça sent le vécu comme on dit ! Et ce train que tu as pris en 1967 je l'ai pris aussi pour rejoindre la capitale et mon travail. Très bien raconté chère Emma. Et bonne retraite ! ;-)

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    1. Chère Yvanne, un grand merci à toi pour ta visite chez moi... Le merveilleux, c'est qu'un "je ne sais quoi de ces petits riens" restent fidèlement ancrés en nous. Belle soirée à toi.

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  6. Voyages, voyages qui se mêlent et s'entremêlent au rythme des roues d'un train sur les rails d'une vie, avec ce joli refrain du « Le je ne sais quoi et le presque rien » qui scande le tout ! C'est vraiment, vraiment bien écrit ! Chapeau !. Gros et doux bisous chère Emma.An'Maï

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    1. Bonsoir chère Anne-Marie, très touchée par ton gentil message. Je te visite très prochainement, douce soirée et bisous.

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  7. J'aime ce récit poétique qui raconte une vie. Le poème « Aux Arbres » de Victor Hugo sied bien à la rêverie et accompagne merveilleusement bien votre texte, souvenirs égrenés.

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    1. Bonsoir Jean-Jacques, un grand merci pour ta visite et bonne soirée à toi. Amicalement.

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  8. un beau parcours de vie et professionnel!

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    1. Coucou, merci chère Adrienne, bisous du mercredi avec nos petits-enfants...

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  9. Voilà un beau parcours professionnel, et je me doutais dès le début de la lecture que c'est de toi que dont tu parlais…
    étant ch'ti, je connais bien la ville de Lille.

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    1. Coucou cher Alain, mes derniers commentaires n'ont pas été publiés dont le tien, ce n'est pas la première fois.
      De nouveau, essai : je te remercie de ta visite, te saluant ami ch'ti ! Bises amicales.

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