C’était un dimanche à la campagne
Le dimanche était
sacré pour mémé et pépé car ils nous gardaient. Le samedi soir, on dormait chez eux -mon
frère jumeau et moi- ; nos parents travaillaient durement la terre, sept jours
sur sept, ne prenant jamais de vacances.
Le dimanche au
petit-déjeuner, mémé nous offrait des croissants et du pain frais, avec un grand bol de café au lait, du beurre, de la
confiture. Mémé confectionnait toutes sortes de confitures et de gelées pour
notre plus grand plaisir.
Le dimanche matin, on
les accompagnait à la messe ; lorsque les cloches de l’église sonnaient, on chantait à
tue-tête avec mon frère : « Frère Jacques, frère Jacques, dormez vous ? dormez
vous ? sonnez les matines, sonnez les matines, ding ding dong, ding ding dong…
dingue, dingue, dongue… ». On riait aux éclats et mémé faisait les gros yeux, ce
qui nous calmait jusqu’au prochain tintement…
Mémé était pieuse, sans
être une « grenouille de bénitier » ; elle aimait accueillir, demander des
nouvelles des uns, des autres.
Elle jouait de l'harmonium, chantant
merveilleusement bien, on était fiers. Pépé faisait la quête ; quand il tendait
son panier d’un air sérieux, on lui donnait le sou que mémé avait glissé
discrètement dans notre main.
Nous sortions joyeux sous
le nouveau carillon car après, nos grands-parents nous emmenaient déjeuner à
l’auberge du château. Ils nous donnaient cinq francs chaque dimanche, nous
récompensant d’avoir si bien écouté, chanté, salué l’assemblée.
En début d’après-midi,
mémé cousait ou tricotait pendant la sieste de pépé... ensuite, on partait flâner sur les sentiers, dans les vignes,
les champs où paissait du bétail... très heureux des moments partagés avec eux. À l’heure du
goûter, on dégustait les bons gâteaux que mémé avait préparés. Nous étions
choyés !
Vers 17 h, nos parents
venaient nous chercher ; nous repartions avec des sacs remplis de victuailles pour la
semaine.
Aujourd’hui, ce devait
être une belle fête ! C’est notre anniversaire !
Presque toute la
famille est là. D'habitude, c'est
un grand repas de famille organisé au restaurant du village avec des chants, des rires ;
papa joue de l’accordéon ; notre grande sœur chante le
répertoire de Piaf. Aujourd’hui, papa n’est pas là !
Cet après-midi, les
grands-parents nous ont emmenés aux abords d’un champ de blé ; d’habitude, mémé me fait un cours sur le
pain quotidien par rapport au blé mûr et l’hostie du matin ; aujourd’hui,
elle ne dit rien, je la sens préoccupée. Maman est restée silencieuse
pendant tout le repas, sans doute parce que papa n’a pas pu venir, elle a dit
qu’elle nous expliquerait plus tard…
Pépé surveille mon
jumeau qui a pris de l’avance, il le rappelle ; derrière nous, il y a maman ainsi que nos grands frère et sœur ; lui chasse les papillons, je m’étonne que maman ne le
réprimande pas aujourd’hui.
Je m’agenouille
derrière pépé pour cueillir des marguerites, des bleuets et des coquelicots ;
« j’en fais un bouquet pour papa », dis-je à mémé qui ne
répond pas ; elle semble triste aujourd’hui. Maman s’approche, ajoutant : «
les enfants, nous allons rentrer, il faut que je vous dise pour papa… »
Plus tard, nous irons
visiter papa à l’hôpital.
Il se battra longtemps contre la maladie et nous avec lui. Il ne guérira pas. On
n’oublie jamais les êtres chers que l’on a perdus et tant aimés.