Rêverie amoureuse
Aujourd’hui c’est jeudi et ma journée de repos.
J’ai quitté mon costume trois pièces de responsable de la sécurité au Grand Hôtel
de la Plage et revêtu ma tenue de sport. Levé tôt, je reviens de l’océan où
j’ai nagé deux heures comme je le fais régulièrement pour entretenir ma forme.
Cheveux encore humides, je profite des rayons chauds du soleil pour sortir dans
le parc. Je pensais être tranquille mais le jardin fourmille de vacanciers. Je
peine à trouver une chaise disponible lorsque trois personnes quittent leur
place, je m’installe pour lire la presse. Quelques instants plus tard, mes
yeux se ferment et mon esprit dérive…
Je songe à cette touriste arrivée seule, dimanche…
que je croise matin et soir lorsqu’elle part et revient de ses excursions. Environ
la cinquantaine comme moi… elle est svelte, élancée, élégante, gracieuse ;
je la trouve magnifique ! ses longs cheveux noirs sont sublimés par une barrette
avec trois fleurs rouges entourant son visage bruni, magnifié par l’air marin ;
nez fin, lèvres ourlées de rose... lorsque son regard pervenche me fixe, j’en
frémis à chaque fois ; il émane d’elle une aura magnétique. Elle
s’appelle Marie… Pour tout vous dire, je pense à elle sans cesse, j’en rêve
la nuit…
Ce matin, elle partait en croisière pour la journée.
Après un signe amical, elle m’a indiqué : « à ce soir ». N’est-ce
pas elle, là, traversant au fond du parc ? le voyage aurait-il été annulé ?
elle disparaît derrière les arbres. Hier dans la soirée, il m’avait
semblé reconnaître son allure souple, cheveux flottant au vent, marchant vers la roseraie… Le soir elle me disait « être rentrée
tard », je m’en étais étonné, elle m’avait souri, répondant
qu’elle « se dédoublait »… Cette femme m’obsède.
Des voix aiguës s’approchent ; il s’agit des deux blondinettes
qui faisaient la fête hier au soir au dancing ; la dégaine déhanchée, elles étaient
montées sur des chaises, buvant cocktail sur cocktail et monopolisant le micro
au karaoké, sur des chansons de Maxime Le Forestier ; l’air me revient en
boucle : « San francisco… ohohoho… » - « C’est
une maison bleue adossée à la colline… », j’avais d’ailleurs dû intervenir
gentiment… ce matin, l’une d’elle porte une robe rouge moins sexy que celle
de la veille, la seconde la même robe mais de couleur noire ; elles
s’esclaffent sans retenue -debout- près de la dame au chapeau bleu, assise
entre elles et moi ; celle-ci me regarde exaspérée en hochant la tête lorsque
les deux mignonnes se tournent vers nous et nous saluent… Je m’incline vers
elles puis récupère la revue que la vieille dame a fait tomber sur le sol et lui
rends.
J’observe « la(les) chaise(s) vide(s) » à
proximité, me souvenant de ce film de Pierre Jallaud avec Martine Chevallier et
Maxime Le Forestier… irrésistiblement, je fredonne cette chanson : «
Ambalaba, ambalaba, ambalaba …
Moi ti n'a princesse, tu vas guetter… »
-hé, t’emballe pas, vieux- ! J’imagine que nous dansons Marie et moi, au
bord de la plage… Levant les yeux, je sursaute : C’est elle
là-bas ! encore une illusion ? … Maintenant, elle porte une robe longue
blanche, les cheveux relevés en queue de cheval, se dirigeant vers moi.
Je me lève précipitamment et la rejoins :
— Ô
cool ! vous avez quitté votre costume ? vous faites moins sévère
aujourd’hui ! Vous m’attendiez ? Est-ce un interrogatoire ?
— Ô non, je suis confus…
Elle rit, ses yeux sont cachés par des lunettes jamais vues auparavant, elle pétille d’amusement, ajoutant d’un beau sourire :
— Je vous en dirai plus ce soir à l’apéritif ! Seriez-vous disponible pour dîner avec moi ?
— Bien sûr, réponds-je, j'en suis ravi !
Elle est déjà partie… d’habitude, elle est plus réservée… J’ai
hâte de la revoir !
Il est vingt heures. Le cœur battant, je l’attends dans la
salle du restaurant. Elle n’est pas encore là. Dans la glace, je la vois arriver
derrière moi, une autre femme la suit, en tous points identique.
D’un ton badin, l’une d’elles me dit :
— Alors,
cher monsieur de la sécurité, surpris, non ? L’une de nous n’est arrivée
qu’hier au soir ! laquelle des jumelles vous a invité à dîner cet
après-midi ? Si vous trouvez, une seule vous offrira le dîner… sinon vous
paierez l’addition, assis entre deux chaises.
Qu’imaginez-vous qu’il se passa ? Que je dus régler
trois repas ou bien passer la soirée en tête à tête avec ma jumelle préférée…
À défaut de chaise, point de siège éjectable, juste le
plaisir de bien faire … le travail !
Allez, je vous laisse à votre rêverie, je retourne à la
mienne… et pour celles que cela intéresserait, je m'appelle Bruno...