Proposition de M. le goût des autres : Dans cette toile de Joseph Lorusso, quelque chose me frappe. Je ne vous dirai pas quoi aujourd’hui, évidemment. Mais j’aimerais bien savoir ce qui vous a frappé vous. Et même si rien ne vous a frappé, je suis sûr que vous avez le talent de dire ce qui ne vous a pas frappé. À lundi, donc…
En avant-propos : vais-je « dresser une scène » du quotidien comme pourrait le montrer ce peintre américain, réaliste et talentueux ? Ses œuvres figuratives à l’huile sont souvent colorées de rouge orangé… ses personnages reflètent parfois "quelque…accablement"… Observons la toile proposée par notre ami le goût des autres : Lakevio du goût
J'arrose l’arroseur
Juin 1982. Région parisienne. Il l’avait "convoquée" ce soir-là, comme d'autres avant elle… Il proposait un travail en ces temps difficiles où les jobs venaient à manquer de manière récurrente… Une copine lui avait parlé de ce type "douteux", un tenancier dont l’établissement était ouvert "la nuit", qui pourrait l’aider à joindre "les deux bouts de sa mission" ; celui-ci proposait souvent des emplois de serveuses qui ne restaient pas... Si le coup l'intéressait...
L’heure avait été fixée pour 22 heures…
J’ouvre la porte et découvre un drôle de tableau… plusieurs femmes paumées sont installées à des tables, soit seules ou près d’un compagnon de beuverie dont l’un a la tête avachie sur ses deux bras reposant sur la table. La plupart ne tiennent déjà plus la route, continuant de boire sans retenue ; ils sortiront plus tard en titubant. Le cynisme de ce mec me fout les boules, pensé-je.
Mon gagne-pain sera simple : faire le service de 23 h à 5 h, pousser les clients à consommer, à jouer dans l’arrière-salle, fermer les yeux et ma bouche sur "les plus selon affinités"… et pour un peu ne pas hésiter à pratiquer le "bouche à bouche" si un client "malade" le souhaitait. Tiens donc, on va bien s’marrer, spéculé-je…
— Si le taf vous intéresse, revenez demain vers 21 heures pour un essai, l’autre serveuse vous expliquera le boulot.
Je suis sortie, n’en espérant pas tant. Ma vraie tâche commence demain, chuchoté-je.
Lendemain soir... Quatre heures du matin. La nuit a été longue voire mouvementée avec des clients éméchés, des joueurs de cartes qui perdront leur salaire en une soirée… et ces femmes seules -cela me serre le cœur- dont certaines ont "litroné" à grosses goulées dans des verres remplis à ras bord, tachés de rouge à lèvres… puis sur des lèvres chargées et repoussantes d’hommes venus faire la fête ! Le patron est aux anges car la caisse est bien remplie. Pourvu que ça dure, médité-je.
— Tu peux t’seoir cinq minutes, me dit le patron. Ça s'vide ! Dans un moment, on ferme. T’as bien rempli le job la rousse. Attends-moi dans la cuisine pour tes conditions de paye !
[Elle s’est assise. Sa chevelure fauve éclaire le mur orangé contre lequel elle a posé nonchalamment sa tête. On dirait qu’elle a pleuré. Son nez est rouge, ses joues gonflées, son regard inexpressif cligne ; elle se mouche. À côté d’elle, deux bouteilles vides qu'elle n’a pas consommées. Elle lorgne ce verre de vin "à moitié vide ou plein" ... ça dépend de la suite, songe-t-elle… Elle fixe, stimulée, ce relent de consommation d’un précédent client. Elle attend sereine la fin de la partie].
— Bon, tu viens la miss, le dernier client s’est barré. On va faire les comptes.
Je me suis levée ; souriante, je le suis… il me félicite pour cette première soirée de travail et m’invite à revenir demain. Je vais quitter la pièce lorsqu’il se met en travers de la porte et m’attrape lestement.
— Hé ! pas si vite ma loute, tu m’plais ! n'fais pas la difficile. Tu l’regrettas pas si tu fais ce que j’ te dis.
— Barre-toi de mon chemin, le taulier !
Par une prise, je le ceinture efficacement et lui mets ma carte de police sous le nez.
— Capitaine Jaroze ! t’es cuit mon gars. On a eu plusieurs plaintes te concernant, ne la ramène pas, OK ? ce soir, on ferme ta boîte et tu vas directement dormir au violon !
Je sors les menottes. Tout est dit. Soirée productive. La porte de la taule s’ouvre.
— Les gars, c’est fait, le paquet est prêt à partir.
Les collègues entrent. Menotté, l’énergumène n’en mène pas large. On sort. J’éternue.
— T’en tiens une bonne, dis donc !
— Oui, maudit rhume des foins... qui me fait pleurer de nouveau.
Je touche mes narines rougies par les mouchages répétés. En tout cas, celui-là, je l’ai bien mouché, ajouté-je.
Une pensée pour ces femmes : où iront-elles demain ?
"crac boum dedans", comme disait mon grand-père, qui adorait les histoires policières, surtout quand il y avait de jolies femmes :-)
RépondreSupprimerCoucou Adrienne, j'ai bien ri en te lisant hier ... et ... me relisant ce matin, modifiant la date ... délacée d'un bon rhume ... des foins ! Bisous, bonne journée, je te rejoins sur ton blog ! Bises du mardi 13 juin !
SupprimerIl fut un temps où les serveuses, serveurs étaient exploités jusqu'à l'os, mauvaises condtions de travail, salaire de misère pour des heures et des heures non payées. Le Covid a changé la donne, maintenant, ce sont les employeurs qui tirent la langue, ce sont les serveurs (euses) qui fixent leurs conditions, et ça me ravit...En tout cas, y'en a un qui s'est bien fait avoir et là encore, je suis ravie (je parle de ton devoir Emma)
RépondreSupprimerBonsoir chère Julie, je te remercie infiniment de ta visite et de ton gentil commentaire. Douce nuit, à bientôt, bisous du samedi 16.
Supprimer